Photo de couverture, Flickr @DR

Certaines voitures brillent aux enchères grâce à leur palmarès, d’autres par leur authenticité. C’est le cas de « R7 », une des huit Porsche 911 Carrera RSR d’usine engagées par le Team Martini Racing. Et comme souvent, cela cache une petite crise d’identité…

Pas le premier coup d'essai

Il n’en existe que 55 exemplaires. Pas un de plus. Si bien que lorsque l’un d’entre eux apparait au détour d’une vente aux enchères, l’effervescence est à son comble, assortie de son lot de rumeurs et de pronostics enflammés sur le résultat de la vente. En termes de buzz, le lot 251P proposé par Bonhams lors du Goodwood Revival en septembre dernier n’a pas déçu. La Porsche Carrera RSR 3 Litres de 1973 baptisée « R7 », puisque c’est bien d’elle qu’il s’agit, a ainsi changé de propriétaire pour la somme de 3,6 millions d’euros quand les estimations les plus optimistes la voyaient capable de franchir la barre des 5 millions.

Au début des années soixante-dix, le nouveau Championnat GT européen offre un formidable terrain de jeu pour la Porsche 911 qui monopolise les grilles de départ. Durant l’automne 1972, Porsche va dévoiler sa toute nouvelle 911 Carrera avec une cylindrée passant de 2,4 à 2,7 Litres, agrémentée d’une série limitée de 500 exemplaires d’une version « lightweight » pour satisfaire les lois de l’homologation. Trois versions seront disponibles. La RS (RennSport), la RST (Touring) et la RSR (RennSport Rennwagen) dont est issue notre « R7 », un des huit RSR d’usine aux couleurs Martini Racing dont seuls quatre exemplaires semblent avoir survécu. Mais outre sa rareté, ce qui rend plus encore attirante la version vendue à Goodwood, comme souvent avec ce type de véhicules dont le palmarès, pour intéressant qu’il soit, n’est pas particulièrement glorieux, c’est bien son pedigree. Son histoire.

Porsche RSR

Du Nürburgring à Mexico

Elle débute, cette histoire, aux 1000 Kilomètres du Nürburgring lorsque « R7 », engagée par Porsche via le Team Martini Racing obtient la cinquième place grâce aux efforts des pilotes d’usine Herbie Müller et Gijs van Lennep qui terminent derrière les redoutables prototypes Matra et Ferrari. Une honorable prestation rééditée lors des 24 Heures du Mans 1973 où notre RSR, avec le même équipage, accèdera à une encourageante quatrième position. Engagée en catégorie prototype, la vaillante Carrera RSR #46 ne se verra ainsi dominée que par les deux imbattables Matra-Simca MS670 de Pescarolo-Larrousse (victoire) et de Jaussaud-Jabouille (troisième) et la Ferrari 312PB du duo Merzario-Pace arrivée deuxième.

Avant de poursuivre, une précision s’impose. À l’origine, il avait en effet été décidé que les RSR d’usine seraient engagées en catégorie GT. Ce sera effectivement le cas lors des 6 Heures de Vallelunga où elles réaliseront un doublé, avant qu’un problème ne se présente lors de la course de Monza, en début de saison. Dans les stands, le team manager de Martini Racing qui fait courir les Porsche d’usine, Norbert Singer, se fait apostropher par le propriétaire italien d’une RSR privée dont le moteur a lâché durant les essais. Il lui affirme avoir repéré dans les RSR d’usine quelques détails frauduleux dont les versions clients ne bénéficient pas et le prévient qu’il est allé en référer aux autorités. À la direction de la course, pour régler ce différent, il va être tout bonnement décidé de faire passer les RSR d’usine de la catégorie GT à la catégorie Prototypes, si bien que pour payer les frais d’inscription plus élevés, Singer va devoir passer parmi les mécaniciens pour réunir la somme demandée ! Quelques jours plus tard, de retour à l’usine, Singer s’attend à une sévère remontée de bretelles, et même au renvoi pur et simple. Dans le bureau du boss, le Dr. Helmut Boot, ce dernier lui montre une pile de courriers envoyés par des propriétaires de RSR mécontents après avoir couru en GT face aux Porsche d’usine. Mais la réaction de Boot va rassurer Singer. « Wunderbar! (Merveilleux !), s’exclame-t-il. Maintenant, nous courons en Prototypes ! ». Problème résolu, Singer peut souffler. Désormais, toutes les RSR seront engagées en Prototypes avec, entre autres modifications par rapport aux GT, des jantes à écrou central unique au lieu des jantes à cinq écrous.

Mais revenons à la carrière de « R7 ». Avec un nouvel équipage composé des jeunes autrichiens Helmut Koinigg et Manfred Schurti, elle est engagée aux 1000 Kilomètres de Zeltweg sur le circuit d’Österreichring où elle termine en neuvième position, juste derrière sa frangine « R6 » et le duo Müller-van Lennep. À l’occasion de la dernière épreuve du Championnat du monde, les 6 Heures de Watkins Glen, Porsche confie « R7 » à l’équipe Brumos Racing qui fera courir la RSR sous ses propres couleurs (principalement blanc, agrémenté de bandes centrales rouges et bleues) et s’emploiera à en redessiner l’arrière, remplaçant sa poupe « Mary Tudor » par un design de type « queue longue » avec un aileron plus étroit. À Watkins Glen, « R7 » termine septième des 6 Heures et neuvième en Championnat Can Am face aux monstrueuses Groupe 7.

Si Porsche a confié la RSR au Brumos Racing, c’est également afin que l’équipe se charge de lui dégotter un nouveau propriétaire privé. Ce qui sera fait en la personne de l’industriel mexicain Hector Rebaque Senior qui la destine au fiston, Hector Junior, pilote débutant assez prometteur qui finira par glaner quelques points en Formule 1 chez Brabham avant d’accéder au Championnat CART américain dans les années quatre-vingt. Désormais engagée par le Rebaque Rojas Team, « R7 » hérite des couleurs (blanc, rouge et jaune) de ses nouveaux sponsors, les cigarettes Viceroy et le Café Mexicana, avant de faire son retour dans la Sarthe pour l’édition 1974 des 24 Heures du Mans. Le jeune Hector en partage le volant avec Guillermo Rojas et Fred van Beuren Jr. mais le trio ne verra jamais l’arrivée par la faute d’un problème d’allumage. Au Mexique, où elle partage les ateliers du Rebaque Rojas Team avec quatre autres Porsche RSR sur les 55 produites, « R7 » va continuer de courir avant que sa destinée ne prenne une toute autre direction.

Porsche RSR
Wikimédia @DR Porsche RSR

Tombée du camion

Quelques années plus tard, alors que « R7 » semble avoir disparu de la circulation et que son sort demeure inconnu, une rumeur va courir dans les milieux Porschistes selon laquelle elle aurait été détruite après être lourdement tombée du camion sur lequel elle avait été chargée. Jugée irréparable, elle aurait été vendue en pièces détachées qu’un collectionneur américain aurait acquis auprès d’un certain Diego Febles, et à partir desquelles il va réaliser une réplique de la RSR, aux couleurs de Viceroy et Mexicana, véhicule qu’il tentera de faire passer pour la véritable Porsche qui termina quatrième aux 24 Heures du Mans 1973.

En réalité, on apprendra que la disparition de « R7 » n’a rien de mystérieux et que si elle est effectivement tombée de son camion, les dégâts furent légers. En 1977, elle avait été discrètement exportée du Mexique, rachetée par un collectionneur italien obsédé par la sécurité qui va jalousement la conserver durant une trentaine d’années sans jamais la montrer. Peu à peu, « R7 » va tomber dans l’oubli…

Jusqu’en 2009. Cette année-là, le spécialiste Yvan Mahé se rend à un meeting historique organisé sur le circuit de Monza, au volant d’une Porsche 911 Carrera RSR similaire à « R7 ». Un homme s’approche de lui et après avoir examiné sa RSR, lui confie qu’il possède le même modèle. Quand un amateur de RSR rencontre un autre amateur de RSR, que se racontent-ils ? Les deux porschistes font connaissance et sympathisent aussitôt, liés par leur intérêt mutuel pour ce modèle aussi rare qu’emblématique. Quelque temps plus tard, sans prévenir, dit-on, un camion se présente aux ateliers parisiens d’Yvan Mahé et l’on en décharge… « R7 » !

Conservée méticuleusement durant plus de trois décennies, la célèbre Porsche ne nécessite aucune restauration particulière, si bien que l’on va surtout s’atteler à lui rendre son look de l’époque du Mans 73. Le spécialiste français Raymond Touroul va se charger du dossier afin de lui faire retrouver ses fameuses couleurs Martini Racing ainsi que son aileron « Mary Tudor ». Les travaux achevés, à la demande du propriétaire, un autre spécialiste de la marque va se lancer à la recherche d’un nouveau foyer pour la RSR ressuscitée, qu’il va finalement trouver aux Etats-Unis. L’acheteur conservera la Porsche durant quelques années avant d’en confier la vente à la maison Bonhams qui choisira de la proposer aux enchères lors du très exclusif et so british Goodwood Revival, en septembre dernier.

Soudures bâclées

En réapparaissant ainsi à la lumière, « R7 » va malheureusement réveiller les ardeurs du propriétaire de la réplique un rien douteuse conçue dans les années 70 avec, soi-disant, des pièces détachées issues de l’épave de la fameuse RSR. Persistant à affirmer que sa réplique est bien la Porsche originale ayant couru au Mans, et n’ayant peur de rien, ce dernier va en appeler à la justice afin d’interdire à quiconque d’affirmer que « R7 » est la véritable « R7 » ! Le conflit va durer plusieurs années avant de se régler en mai 2023 lorsqu’un accord sera finalement trouvé, conduisant au classement de l’affaire par un juge de New York. L’accord prévoit que le concepteur et propriétaire de la réplique est autorisé à conserver sa voiture mais qu’il devra cesser de clamer qu’il s’agit de l’authentique « R7 ». Il sera toutefois autorisé à préciser que sa voiture est « une reproduction de la RSR dans sa configuration « queue longue » présentée dans sa livrée Viceroy, telle qu’elle fut engagée par le Rebaque Rojas Team. »

Cependant, afin d’établir indubitablement l’authenticité de « R7 » et mettre fin à ce litige, une minutieuse expertise avait dû être réalisée en avril 2016, dans les ateliers de Porsche Classic, à Stuttgart. À cette occasion, la RSR va être réunie avec une vieille connaissance, Norbert Singer, le team manager qui supervisa également la conception des Porsche RSR Martini Racing en 1973. Après avoir passé une journée entière à scruter le bolide jusque dans ses moindres recoins et détails, Singer va confirmer ce dont personne ne doutait véritablement : cette 911 RSR châssis # 9113 600686 est bien la véritable « R7 », comme il l’expliquait lui-même à l’époque : « Quand nous construisions les prototypes 911 de compétition, nous devions consolider certains éléments des Porsche 911 de série afin qu’ils résistent mieux aux contraintes de la course. Il y avait notamment des barres transversales montées devant le moteur. Quand j’ai inspecté ces renforcements, j’ai reconnu qu’il s’agissait bien de ceux effectués en 1973. J’ai reconnu la façon de souder, qui n’était pas aussi précise que ce qu’on aurait trouvé sur une Porsche de série. C’était révélateur de la pression que nous ressentions en raison du manque de temps dont nous disposions pour convertir des 911 de base en prototypes de série R. À cause de cette pression, nous devions travailler vite et faire nous même les soudures plutôt que de les confier à de soudeurs spécialisés, ce qui était normalement le cas sur les voitures de série. Ces soudures un peu bâclées (mais efficaces) sont toujours présentes dans le compartiment moteur. Selon moi, il est hautement improbable que cela soit connu par quiconque, excepté quelqu’un qui aurait participé au développement des RSR ». Et d’ajouter, en guise de conclusion irréfutable « qu’il s’agit bien de la Porsche R7. Comme le précise mon rapport, les éléments clé qui sont déterminants pour définir l’authenticité d’une telle voiture de compétition, sont parfaitement originaux. »

La Porsche 911 RSR R7 aujourd'hui

Aujourd’hui, « R7 » est donc considérée comme étant le mieux préservé et le plus original des huit exemplaires d’usine conçus en 1973. Une originalité qui semble justifier les 3,5 millions d’euros déboursés par son nouveau propriétaire qui peut se targuer, à défaut de s’esbaudir sur son palmarès, de posséder la référence ultime en matière de Porsche 911 Carrera RSR. « Pour définir la valeur d’une telle voiture, expliquait le pilote Andy Prill après l’avoir pilotée lors du Goodwood Members Meeting en avril 2023, on doit séparer la voiture de son histoire. J’ai une idée assez précise de ce que vaut une RSR de 1973, mais en revanche, je ne sais pas trop par où commencer s’agissant de son histoire, laquelle repose essentiellement sur le fait qu’elle demeure aujourd’hui la seule Porsche RSR du Team Martini Racing de 1973 dans cet état. »

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