De l’importance de vivre avant de juger
Il y a de vrais rêveurs aussi
Des purs qui savent bien, malheureusement, qu’ils ne toucheront sans doute jamais du doigt leur Graal. Et puis enfin, il y a les « spécialistes ». Un troupeau hétéroclite mais le plus souvent composé de donneurs de leçons. Des savants autoproclamés, qui n’arrêterons jamais de répéter des sornettes sur des autos qu’ils n’ont parfois jamais même pu approcher. Jamais vu même autre part que dans les pages glacées des magazines. Des « connaisseurs » de bolides, qui en savent même parfois d’avantage sur certains modèles que leurs propriétaires eux même. Sans doute la pire des espèces. Pourquoi ce constat ? Simplement parce que derrière le pseudonyme de Roland Borghini – et celui moins fréquent de sa jolie sœur Ema Zerati – bat le cœur d’un collectionneur passionné, authentique adorateur de l’automobile sous toutes ses formes. Un restaurateur aussi capable de démonter les mécaniques pour les comprendre. Pas toujours de les réassembler, mais qu’importe.
Par Roland Borghini
Au prix d’une Renault Captur neuve
Essayer, comparer, conduire…C’est ça l’essence de la passion et la base de toutes critiques. Et toujours en tentant de comprendre ce qui a pu conduire telle marque à faire certains choix techniques, en n’oubliant jamais de les recontextualiser dans l’époque. Il est plutôt rare que nous prenions la parole de la sorte. Qui plus est à la première personne. Mais j’ai tant lu de bêtises de soi-disant initiés, qu’il était temps de réagir. Critiquer la Ferrari Mondial sans avoir eu l’occasion d’en essayer une plus longtemps que la durée moyenne d’un coït est un sport facile.
Railler son look et sa piètre fiabilité encore plus aisée. Économiser pour en posséder une et partir enfin pour un ride de rêve, fenêtres ouvertes à son volant, est un tout autre genre de plaisir. On pardonnera plus facilement ses imperfections. On n’oubliera pas le temps qu’il a fallu pour l’obtenir ou le fait qu’elle reste accessible, fiable, lorsqu’elle est entretenue, et surtout puissante et équilibrée.
On aura finalement disposé de la chose qui manque le plus aux contempteurs et autres pros de la critique, l’expérience. J’ai acheté une 928 s4 il y a plus de 20 ans. N’écoutant pas la parole d’un de ces experts qui m’avait pourtant déconseillé de le faire. Et à chaque fois qu’un porschiste de pacotille a pu me reprocher mon acquisition, je l’emmenais faire une tour à bord de celle qu’il qualifiait de « Fuego » allemande. Il revenait de ces essais – évidemment sur circuit – la plupart du temps aussi vert que la forêt que nous avions traversé à 240 Km/h. Et surtout en remerciant les ingénieurs de Weissach d’avoir doté cette auto extraordinaire d’un freinage à la hauteur de son V8 démoniaque. J’ai possédé aussi deux Porsche 996. Un 3.4l et un 3.6l. Bien sûr que j’ai eu peur de la réputation de sa fiabilité. Mais lorsque j’ai pu upgrader son IMS, changer son vase d’expansion fêlé et libérer son échappement bâillonné, je garde le souvenir d’une vraie 911, habitable, fiable et merveilleuse. Pas un 3.2l bien sûr, mais une vraie Porsche quand même. Qu’il soit dit en passant que seule 8 % des 996 furent victimes de casses moteur. Une statistique à mettre aussi en parallèle avec le nombre record de modèles fabriqués. Quitte à critiquer une 911 récente, n’oublions pas de mentionner les défauts des autres. Les embrayages bimass récalcitrants des 993, les doubles allumeurs cassant des 964, les guidages de boite approximatifs des 915, les problèmes de corrosion des modèles jusqu’en 1978, la légèreté maladive et dangereuse des trains avant jusqu’à la 964, l’étanchéité des 3.2l etc. La premières de mes 996 roule encore 20 ans après sa revente et totalise aujourd’hui pas moins de 345.000 km. Moteur d’origine. Comme le Boxter, la 996 reste un moyen fantastique d’accéder au monde des 911 au prix d’un Renault Captur neuf.
(Mé)connaisseurs
Mais il n’y a pas que les Porsche qui ont eu à subir les quolibets des pseudos spécialistes après nos chroniques. Là, c’était la Ferrari 456 qui ne valait pas mieux qu’une Peugeot 406 coupé. Là un V12 à plat confondu avec un moteur Boxer. Là une 612 Scaglietti comparée à un tank. Etc. Blasphème ? Méconnaissance crasse en tout cas. Parmi tous ces ricaneurs patentés, combien peuvent vraiment se targuer d’avoir approché un de ces modèles ? D’avoir pu poser leur séant dans le siège conducteur ? Démarrer un de ces moteurs glorieux ? Ou même d’avoir pu simplement passer la première ? Il est d’ailleurs curieux de constater que ce sont souvent les ex-propriétaires qui en parlent le moins. Peut-être parce qu’ils n’étaient pas si malheureux ?
Abonné aux pannes en jaguar
Je ne fais partie que d’un seul club, celui très fréquenté des victimes des pannes en Jaguar. Cette marque m’a laissé sur le bord de la route, encore plus souvent que la tripotée de Mini et de Triumph qui m’a laissé tomber pendant 40 ans. J’ai cassé 3 boites d’XJS – GM 400, deux Borg Warner 65 d’XJ6, un pont arrière d’XJC 4.2 l, explosé une vingtaine de radiateurs, des AED, consommé des centaines de Champions NY9C, cassé des dizaines d’interrupteurs. Au moins autant de dynamos, d’alternateurs et de démarreurs Lucas. J’ai failli perdre une roue en Mark II, éteint un début d’incendie sur le pont arrière d’une Type E, cassé la barre de transmission d’un 2+2 à 130 km/h (effet sonore garanti) et j’ai même fini dans le fossé après un freinage sur trois étriers en XJS 3.6l…Ça ne m’a jamais empêché de juger objectivement les Jaguar. Ni même d’aduler leurs designs ou la sonorité envoutante du six en ligne, à chaque fois que j’ai l’occasion d’en conduire une. J’ai juste appris à refaire l’écartement des vis platinés « à l’ongle » sur aire de repos. À démonter les pompes à essence allongées sur les pavés. À remplacer les câbles d‘accélérateur par de la ficelle d’emballage, à shunter les durits de chauffage avec des bouchons de Champagne retaillés… Et surtout à ne jamais sortir sans outils. Ça porte malheur. Les pannes, les défauts – ou si vous préférez les emmerdes – entre légendes et réalités, ça fait partie du mémo de l’auto. Comme la souffrance est consubstantielle à l’amour.
Vous savez le truc dont on dit qu’il ne dure que trois ans. Moi ça fait 40 ans que ça dure. Quatre décennies que j’ai la chance de pouvoir vivre mon excellence presque au quotidien. De chevaucher mes rêves, même s’ils sont rarement des premières mains. Il n’y a pas de passion sans risque. Pas de belles histoires sans aléas. Et surtout sans défaut. Mais quand tout marche, quand les pleins sont faits, que le berlingot démarre au quart et que les lacets s’enchaînent, on pense à tous les ratiocineurs devant leurs écrans qui passent leurs aigreurs à démolir les icônes. On rentre la troisième, on met les aiguilles dans la boite à gant à 7000t et on sourit.
RB
Chez TEA Cerede, nous sommes spécialisés dans l’assurance de véhicules de prestige et de collection.