Bentley S1 Continental Drophead coupé
Par Roland Borghini
Jamiroquai sans toit
Est-ce pour compenser leur triste météo que les Britanniques se sont toujours évertués à construire les plus élégants des roadsters ? Quitte à rouler sous une légère bruine ? Nous ne pourrons jamais répondre à cette insondable question. En tout cas, cette Bentley S1 Continental Drophead coupé, ne déroge pas à la règle. Elle est renversante de beauté. Les quelques fans de musique qui nous lisent auront certainement reconnu la « Bent de Jay Kay ». La voiture de Jamiroquai qui tient la vedette du célèbre clip « Love Foolosophy ». La pop star a toujours adulé les autos d’exception. Jay Kay s’est toujours arrangé donc pour faire figurer les nombreuses beautés de sa collection dans ses créations musicales. Allant jusqu’à utiliser le son du V12 Lamborghini de sa Diablo dans « Travelling Without Moving ». Et carrément sa Ferrari 275 GTB/4 dans « Cloud 9 ». Le musicien s’est offert sa Bentley dans les années 2000.
« Il hésitait, parait-il entre cette Drop head et une Continental W12 moderne, explique-t-on à son fan club, le choix cornélien a été vite tranché, il s’est offert les deux ». Il y avait évidemment de quoi tomber amoureux de pareille œuvre d’art. Pour comprendre sa lignée, une pointe d’histoire s’impose. En 1955 Bentley vit sous la coupe de Rolls Royce. Normal, la marque préférée de la Reine en a fait l’acquisition quelques années auparavant. Pas étonnant donc que la Bentley S1 soit la copie conforme de la Rolls-Royce Silver Cloud I à une différence près, la berline dispose de sa propre calandre et de son propre bouchon de radiateur siglé du célèbre B. Des similitudes qui n’empêchent pas Bentley de continuer à vouloir voler de ses propres ailes. Sur la base de la berline, elle élabore donc le coupé Continental. À cette époque bénie, le client achète son châssis nu et détermine le carrossier de son choix pour l’habiller. La plupart des S1 Continental sont confiées à H.J. Mulliner, 218 exemplaires sur un total de 431 construits. James Young Hooper s’y colle aussi et fournit même quelques châssis à Hermann Graber à Wichtrach. La « Bent de Jay Kay » fait partie des 185 ex qui vont être carrossés par Park Ward en version coupé et décapotable. « Elle a été dessinée par John Polwhele Blatchley explique-t-on au Bentley Driver Club. Le designer auteur de nombreuses autres créations, dont le dessin initial de ce qui deviendra la Corniche. La S1 Continental Drophead coupé va être tout de suite considérée comme un classique dès sa sortie et surtout comme un des sommets du style Bentley moderne. Le design se distingue par des courbes douces et subtiles, avec de longues ailes entièrement coulantes qui s’étendent gracieusement de l’avant à l’arrière, avec un subtil rebond formant des hanches au-dessus des roues arrière ». La DHC est mue par le célèbre moteur 6 cylindres en ligne Rolls de 4,9 litres de la berline, revisité afin qu’il puisse sortir 178 CV associé à une boite automatique 4 rapports. « À 60 miles à l’heure, le bruit le plus puissant de cette
Bentley provient de l’horloge électrique, explique la publicité de l’époque ».
3000 km dès la première année
Tout un programme de luxe et de puissance auquel il faut ajouter l’exclusivité. Car seulement 86 cabriolets Park Ward seront construits. Il doit en rester à peine un tiers. La Drop Head Coupe de JK à quant à elle été totalement restaurée. « Après avoir longtemps appartenu au patron de l’agence de pub londonienne Mather & Crowther qui l’avait acheté neuve le 28 mai 1958, la bête fut cédée à vil prix à un certain Alan Price, expliquent les experts de RM Sotheby’s qui sont parvenus à tracer son histoire. Collectionneur privé et membre du Bentley Driver’s Club, Price l’a immédiatement mise en restauration chez le spécialiste Rolls-Royce/Bentley Auto Trade Restoration à Kensal Green, à Londres ». Mise au métal — même si la plupart des panneaux de carrosserie sont en alu — elle va sortir de plusieurs mois de restauration avec un nouvel intérieur cuir gris, l’éternel tableau de bord en loupe de noyer (à liséré de frêne), des chromes étincelants, l’ensemble moteur boite restaurés et une peinture bleu métal du meilleur effet. « Quand il l’a découverte chez nous, le cœur de Jay Kay n’a fait qu’un tour, raconte le concessionnaire P&A Wood, célèbre spécialiste Bentley dans l’Essex, il l’a acheté sans tarder et en a fait la première pièce de sa collection qui depuis s’est considérablement développée, il a même roulé avec elle plus de 3000 km la première année » ! La pop star est si amoureuse de sa belle qu’il décide de la faire figurer dans un des clips qui illustrera son nouvel album du moment « Funk Odyssey ».
Il l’a fait donc expédier à Marbella en Espagne pour un tournage organisé sur les routes sinueuses des montagnes avoisinantes. « À cette époque, Jay est très proche d’Heidi Klum, raconte-t-on à son fan club, on peut donc voir dans le clip, son mannequin d’amie se prélasser gracieusement sur la banquette arrière, pendant qu’un élégant chien Afghan Hound prend l’air à la fenêtre (au risque de rayer la peinture de la porte avec ses griffes). Le chien est au moins aussi échevelé que le top model. Il n’y a guère que le pilote qui n’est pas décoiffé. Puisqu’il arbore son éternel chapeau cloche et porte même un manteau de fourrure blanche (hermine – empiècements cuir). Jay conduit l’aréopage sans broncher – évidement en chantant – un fusil de chasse cassé, posé négligemment sur le siège passager. On n’est jamais trop prudent.
20 ans plus tard, les 180 chevaux de celle qu’on a surnommée en 1958 la « Gentleman’s express » ne semblent désormais plus suffire à la pop star. Jay a décidé récemment de la mettre en vente chez RM Sotheby’s. Il faut dire qu’en près de trente ans de carrière, JK s’est trouvé d’autres jouets bien plus ébouriffants pour vivre au quotidien le grand frisson. Le chanteur possède en effet une BMW 320 (6 cylindres évidemment), une Ferrari 275 GTB/4, une F40, une F355 GTS, un break de chasse Estate 330 Vignale unique au monde, une Fiat 600 Abarth, une Lamborghini Diablo, une Muira, une Mercedes 280 SE, une 600 Pullman, une Porsche 911 Carrera 2.7 RS, etc. Il a même un circuit chez lui. Mais curieusement, il ne lui reste que des cabriolets youngtimer. Du genre de ceux qui se recapote beaucoup plus vite que la Bentley. Sans doute encore une malheureuse histoire de météo anglaise.