Crédit photo de couverture @DR

Son étrange regard et sa rareté auront suffi à la Continental S3 dessinée par Mulliner-Park Ward pour lui assurer une place de choix dans la longue histoire de la marque anglaise.

Pleins phares

Il se trouve probablement dans l’histoire de Bentley des modèles esthétiquement plus réussis que cette Continental S3 surnommée « Chinese Eyes » en des temps moins sensibles. Toutefois, question glamour, aucun autre modèle de la respectable marque ne fera jamais d’ombre à cette version de la Continental, lancée en 1963. Elle va ainsi rapidement devenir l’un des véhicules d’apparat favoris des pop stars et autres artistes extravertis des swinging sixties tandis qu’avec cette version, le navire amiral de la marque de Crewe va découvrir de nouveaux territoires. Habituée au gravier des résidences huppées des quartiers londoniens de Kensington ou Belgravia, elle fréquente aussi désormais les rues bondées de Soho, les parkings de boîtes de nuit à la mode et les virées nocturnes, capote grande ouverte pour évacuer toutes sortes d’effluves. Le cinéma, avide de prestige et de paillettes, va pourtant tarder à lui faire de l’oeil. En 1966, un cabriolet S3 se fait remarquer auprès de David Hemmings et Jane Birkin dans le sulfureux Blow-Up de Michelangelo Antonioni (1966) avant d’équiper William Holden dans L’arbre de Noël (Terence Young, 1969), Peter Sellers dans Une fille dans ma soupe (1970) et Colin Farrell dans London Boulevard (William Monahan, 2010). Il n’empêche, de l’aristocratie au showbiz, la Continental va se dévergonder dans cette version S3 qui ne s’éloigne pourtant du classicisme maison que par le traitement bien particulier de sa face avant, l’oeuvre du carrossier Mulliner-Park Ward. Exceptés ses quatre fameux phares obliques qui lui ont ont valu ce surnom non-officiel de « Chinese Eyes » à sa sortie, la S3 de Mulliner-Park Ward est restée dans la lignée de son ainée, la Continental de 1952, jadis considérée comme le coupé 4 places le plus rapide du monde. Si les versions suivantes perdirent en sportivité, elles restèrent de somptueux salons roulants et la version S3, dans ce domaine, fait honneur à sa famille.

Né de la fusion entre Park Ward, racheté par Rolls-Royce en 1939 et Mulliner, acquis en 1959, Mulliner-Park Ward comptait parmi les trois carrossiers habilités à concevoir les Continental S3 pour la clientèle. À ce titre, le prestigieux artisan, fournisseur du trône et de tout ce qui portait titre ou particule, signera 291 exemplaires de la S3 (coupés et cabriolets) sur les 312 produits entre 1963 et 1965. Auxquels il conviendra d’ajouter les vingt autres voitures réalisées par James Young et l’unique exemplaire conçu par Graber.

Les exclusives

bentley s3

Notre modèle, dans sa resplendissante livrée Burgundy Red avec intérieur en cuir couleur Crème, est plus exclusif encore. Il compte parmi les rares exemplaires, environ un quart de la production des S3, sortis de l’usine de Crewe en version LHD, pour Left Hand Drive (conduite à gauche). Il partage cette caractéristique avec une autre Continental S3 Mulliner-Park Ward, un modèle de 1962 qui fut offert à Elizabeth Taylor par son mari d’alors, l’acteur et chanteur Eddy Fisher. Dans ce club très fermé, la Bentley Continental S3 présente dans notre reportage n’est pas en reste. « Elle avait été commandée neuve chez Franco-Britannic par le frère du Roi Hassan II, précise un specialiste de la marque. Mais pour une raison inconnue, elle n’a jamais été livrée. C’est un Comte italien qui a fini par s’en porter acquéreur avant qu’elle ne soit rachetée quelques années plus tard par un aristocrate allemand. »

Ces représentants du Gotha mondain ont sans aucun doute été séduits par les proportions très élégantes de la S3 Mulliner Park-Ward, ou MPW, imaginées par le designer norvégien Vilhelm Koren sur la base du cabriolet Continental S2 de 1959 dont elle reprend également le V8 de 6,2 litres couplé à une boîte de vitesse automatique à quatre rapports. « Suffisante » était à l’époque la réponse laconique de Rolls Royce et Bentley lorsqu’on les questionnait au sujet de la puissance de leurs modèles mais l’on sait aujourd’hui que la Continental S3 MPW comptait quelques deux-cent percherons bien nourris sous son interminable capot. En revanche, la S3 se différencie des modèles précédents par ses culasses repensées, fabriquées dans un nouvel alliage à base de silicone. Des carburateurs HD8 SU plus grands font leur apparition et le taux de compression est porté à 9:1, avec un réglage des soupapes qui va procurer à la S3 un supplément « suffisant » de puissance.

Park Ward et Mulliner

Bentley continental 1965

Malgré sa carrosserie en aluminium, pour stopper les deux tonnes d’une Continental lancée sur The Mall ou dans la courbe de Regent Street, il fallait avoir foi envers les freins à tambour montés à l’avant et à l’arrière, un choix auquel Bentley restera fidèle jusqu’à fin 1965. Mais qu’il fut barré par un membre de l’aristocratie anglaise ou par une rock star ébouriffée, l’imposant cabriolet (5,3 mètres de long) n’avait pas vocation à jouer les dragsters aux feux verts. De la Continental S2 MPW, la S3 de Koren va également hériter des ailes en forme d’aileron très datées 50’s et de ses feux arrières, et préfigurer la légère courbure du coffre que l’on retrouvera sur la Bentley S1 (et sa frangine de chez Rolls Royce, la Silver Shadow). Mulliner va principalement se consacrer à la conception des coupés tandis que Park Ward se concentrera sur les cabriolets, les deux carrossiers réunis par Rolls Royce partageant les mêmes locaux de Park Ward, à Willesden. Au début de la production de la S3, les tout premiers exemplaires du coupé auront les phares avant placés en position verticale avant qu’il ne soit décidé de leur attribuer le design incliné conçu par Koren pour le cabriolet.

L’actuel propriétaire de la Continental, séduit par cette teinte peu courante (et d’origine) sur un tel modèle et par une série d’options comprenant la capote électrique ou la climatisation, avait tenté de s’en porter acquéreur mais son propriétaire d’alors avait préféré tenter sa chance lors d’une vente aux enchères organisée durant le Salon Rétromobile. Las ! La voiture ne fut pas vendue et son propriétaire accepta finalement de traiter avec l’actuel possesseur de la S3. Aujourd’hui, loin des paillettes et de l’excitation des swinging sixties qui ont vu naitre le modèle, cette S3 qui servit de véhicule officiel lors du mariage d’une des filles du Roi de Roumanie, coule depuis vingt ans des jours tranquilles dans une collection privée située en Suisse. « Elle ne fait partie d’aucun club, raconte la responsable du garage qui l’entretient, mais elle roule régulièrement. Je l’ai inscrite il y a quelques années dans un concours d’élégance à Coppet, près de Genève et elle a aussi été exposée durant quelques temps au Musée de l’automobile de Genève, près de Palexpo, où se tient le Salon de l’Auto. Le jour de l’inauguration du musée, en 1995, elle a d’ailleurs été la première voiture à en franchir les portes ! »

Symbole Bentley

Alors qu’elle célèbre cette année ces soixante ans, et comme chaque version de la lignée Continental, cette S3 carrossée par Mulliner-Park Ward demeure l’un des piliers indiscutables du mythe Bentley. S’inscrivant parfaitement dans l’histoire du modèle malgré la légère entorse que constitue son étrange regard, elle a profité de cette particularité pour imposer une image légèrement décalée qui ne pouvait que séduire les artistes et jeunes entrepreneurs de l’époque, désireux de secouer les traditions. Sa rareté joue pour elle aujourd’hui et croiser sur la route le regard oblique d’une Continental S3 reste un moment unique, que l’on soit amateur d’automobiles exclusives ou non.

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