Photo de couverture, Ayrton Senna 1991. Wikimedia Commons – @DR

Si l’on ne devait retenir qu’une victoire parmi les 41 empochées par Senna, c’est bien la première, au Grand-Prix d’Estoril de 1985. Alors aux premières loges, son ami le journaliste Lionel Froissart évoque ses souvenirs de l’exploit.

L'oreille de Senna

Ayrton Senna en 1984
Ayrton Senna en 1984 - GP Germany, @DR Flickr

Après une saison 1984 au cours de laquelle le rookie Senna va souvent se faire remarquer au volant de la modeste Toleman Hart, le jeune brésilien va remplacer Nigel Mansell chez Lotus avec qui les premiers contacts remontent à septembre 1983. Pour Ayrton, inscrire son nom dans l’histoire de cette glorieuse équipe n’est pas anodin. « Piloter pour Lotus était quelque chose de très particulier pour lui, se souvient Lionel Froissart, car la première fois qu’il avait vu tourner une Formule 1, c’était Emerson Fitipaldi sur une Lotus au circuit d’Interlagos où se déroulaient des essais privés. Et c’est avec cette écurie que Fitipaldi est devenu Champion du Monde en 1972, sur une Lotus noire et or comme la sienne. » En 1985, le Team Lotus n’a plus gagné depuis la victoire d’Elio de Angelis en Autriche en 1982 tandis que la même année, la mort soudaine de son fondateur, Colin Chapman, a été un coup dur dont l’équipe commence tout juste à se relever. Notamment grâce à l’embauche de l’ingénieur Gérard Ducarouge auprès duquel Senna va trouver une épaule solide et une oreille attentive. « À cette époque, continue le journaliste, Ayrton focalisait sur deux français. Prost, parce que c’était le meilleur et qu’il voulait le battre, et Ducarouge. Il l’avait repéré, il avait suivi sa carrière et constaté que tout ce qu’il avait fait avait plutôt bien marché. Et de son côté, Gérard avait cette qualité d’écoute des pilotes. Il n’était pas borné comme beaucoup d’ingénieurs qui ne regardent que ce que leur disent les chiffres. Il était beaucoup plus dans l’empirique. Il y avait une grande complicité entre Gérard et Ayrton, une confiance et un grand respect mutuels. Un de ses grands déchirements, quand il a quitté Lotus, a été de ne pas pouvoir emmener Gérard avec lui chez McLaren ».

Circuit d'Estoril - 1985

Ayrton Senna sur le circuit d'Estoril
Lotus 1985 - Circuit d'Estoril. @DR Flickr

Le 21 avril 1985, au volant de la Lotus-Renault 97T numéro 12, celui qu’on appellera bientôt « Magic » Senna partira en pole-position sur le circuit d’Estoril, au Portugal, deuxième épreuve de la saison. La première pole d’une série de soixante-cinq dont seize empochées pour l’écurie anglaise. « Chez Lotus, Senna était aussi très proche des motoristes de Renault, raconte Lionel Froissart, notamment Bernard Dudot et Bruno Mauduit. Ce dernier me racontait que son cauchemar absolu, c’était de croiser Ayrton dans un couloir d’hôtel à dix heures du soir parce que ça glissait inévitablement vers un briefing interminable ! » Chez Lotus, Bruno Mauduit va vite acquérir le surnom de « More Boost », deux mots que Senna ne cesse de lui répéter. « Mais c’était surtout pour le taquiner, précise son ami Froissart. Dès le départ, sur la piste détrempée, Senna domine sans partage la concurrence. Les uns abandonnent (Prost, Piquet…), les autres se retrouvent distancés de plus d’une minute à l’arrivée (Alboreto) ou d’un tour (Tambay, de Angelis) voire de deux tours (Mansell). « Il faisait un temps absolument épouvantable, se rappelle Lionel Froissart, alors journaliste au quotidien Libération. Estoril n’est pas loin de la mer, il y avait du vent, il faisait froid, il tombait des cordes… Alain passait en faisant signe d’arrêter, des pilotes sortaient et pendant ce temps, Ayrton survolait la course, c’était incroyable. Il a sûrement failli s’y mettre plusieurs fois, c’est le jeu. Mais il était vraiment très au-dessus ». Un autre journaliste est présent ce jour-là, Denis Jenkinson, le célèbre co-pilote de Stirling Moss lors des Mille Miglia 1955 qu’ils remportèrent dans des conditions dantesques. À l’arrivée, « Jenks » s’empresse d’aller féliciter Ayrton pour avoir si bien récupéré sa monoplace après en avoir mis les quatre roues sur l’herbe. « C’était un vrai coup de chance, le refroidira Senna. J’avais complètement perdu le contrôle et la voiture s’est remise toute seule en piste. »

Circuit de Monaco
Circuit de Moncao 1984 - @DR Motorsport images

En 1984, au volant de la Lotus-Renault 95T, Nigel Mansell avait laissé filé la victoire lors d’un Grand-Prix de Monaco noyé sous des trombes d’eau (que Senna terminera en deuxième position après l’interruption de la course). À Estoril, dans des conditions similaires, et peut-être pires encore, le brésilien va offrir à l’écurie de Ketteringham Hall une victoire entrée dans la légende. Et une véritable bouffée d’espoir. « Sa première victoire à Estoril, raconte Peter Warr, Team Manager de Lotus, a mis en lumière son approche rigoureusement honnête de la compétition, face au manque d’implication de Mansell. »

À l’arrivée, les photos témoignent encore aujourd’hui de l’explosion de joie qui résonne dans le stand Lotus. Peter Warr, tout bras levés comme jadis son mentor et prédécesseur Colin Chapman, accueille le pilote brésilien qui ne tient plus en place dans sa Lotus, harnais détaché, bras en l’air et criant de joie. Sont-ils conscients qu’il pleut encore ? Pas sûr, mais les pilotes survivants sont éreintés. « Sur le podium, ils sont tous frigorifiés, Tambay, Alboreto et lui » se souvient Froissart. Chez Lotus, si l’on est satisfait que le coéquipier de Senna, Elio de Angelis, soit arrivé quatrième, c’est bien Ayrton la star. « Cette victoire confirmait leurs espoirs et prouvait qu’il avait la capacité de gagner des courses ». Cette saison, le brésilien n’en remportera finalement que deux (avec le Grand-Prix de Spa) pour finir quatrième au classement général. Mais la légende est définitivement en marche.

 

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