ET 007 INVENTA LA VOITURE SOUS-MARINE
Crédit Photo de couverture : Lotus Esprit James Bond © Sotheby’s
La véritable « Q Branch », ce sont les équipes de Lotus, Eon et Perry Oceanograhics qui sont parvenues à faire de la Lotus Esprit l’une des voitures les plus emblématiques du cinéma. De son arrivée au studio de Pinewood à sa vente aux enchères ultra-médiatisée, retour sur le parcours d’une Bondmobile de légende.
La Genèse
C’était une belle histoire, colportée depuis des années, qui voulait qu’une des toutes premières Lotus Esprit ait été soigneusement infiltrée aux Studios de Pinewood par le chargé de relations publiques de Lotus Cars, Donovan MacLaughlan, dans l’espoir qu’elle soit remarquée et retenue par les producteurs des James Bond pour apparaitre dans le dixième épisode de la série, L’espion qui m’aimait, en 1976. Mais Peter Lamont, l’un des designers du film a une autre version : «J’ai lu que nous avions choisi l’Esprit après en avoir trouvé une, garée devant les studios de Pinewood. Mais la voiture n’aurait jamais été vue à cet endroit si je ne l’avais pas moi-même choisie avant ».
A cette époque, Lotus Cars bénéficie toutefois d’une déjà grande expérience dans la fourniture de véhicules pour le cinéma et la télévision. C’est grâce à MacLaughlan que plusieurs Lotus Elan, Elan +2 et autres Europa ont équipé les diverses compagnes de John Steed dans Chapeau melon & bottes de cuir (saisons 4, 5 et 6) et que le héros de la série Le Prisonnier, le fameux numéro 6, s’est retrouvé au volant d’une Lotus Seven. Sollicités par Eon, les dirigeants de Lotus Cars et notamment le mythique Colin Chapman, vont bien évidemment sauter sur l’occasion de fournir à James Bond le dernier modèle de la gamme, la Lotus Esprit S1, dessinée par Giugiaro (Ital Design). «On a diné avec le producteur Cubby Broccoli, se souvient MacLaughlan. Il nous a parlé du nouveau film et nous a demandé si on souhaitait participer. Nous n’avons jamais signé le moindre contrat, juste une poignée de main entre gentlemen ». A Pinewood, le designer en chef Ken Adam, qui a travaillé avec Kubrick et Mankiewicz et à qui l’on doit l’Aston Martin DB5 de Goldfinger, commence à plancher sur la nouvelle monture de 007. « Il a tout de suite aimé la voiture, se souvient Peter Lamont, et a commencé à imaginer la façon dont elle pourrait se transformer en sous-marin. Pendant ce temps, j’ai commencé les négociations avec Lotus et me suis rendu à Hethel, dans le Norfolk, où se trouve leur usine ».
Quelques jours après sa visite, Peter Lamont reçoit un appel de MacLaughlan : « Le patron nous a demandé de vous aider par tous les moyens possibles ».
Ca tourne !
Dans un premier temps, Adam et Lamont estiment qu’ils auront besoin de trois voitures pour le tournage : une pour les scènes de poursuite sur route, une deuxième pour la scène sur la plage lorsque la voiture sort de l’eau, et une troisième qui sera convertie par Derek Meddings pour évoluer sous l’eau. À cette époque, l’Esprit commence tout juste à sortir, au compte-gouttes, des chaînes de production. Les exemplaires sont rares mais MacLaughlan vient livrer lui-même une première Esprit aux studios de Pinewood. La voiture immatriculée PPW 306R, blanche, sera immédiatement bâchée mais elle attire cependant l’attention et nombreux sont les visiteurs qui viennent des bureaux et studios alentours pour essayer d’y jeter un œil.
Le tournage de la poursuite en Sardaigne approche, il est programmé de septembre à octobre 76 et le besoin se fait sentir d’une Esprit supplémentaire pour la seconde équipe dirigée par Ernest Day. Aucune autre voiture n’est hélas disponible mais Peter Lamont a une idée : « Je me suis souvenu que le patron de Lotus, Colin Chapman, en avait une de la même couleur que la notre. Il a immédiatement accepté de nous la prêter et la voiture a été envoyée en Sardaigne accompagnée du chef-essayeur de Lotus, Roger Becker ». Chapman propose même d’envoyer en Sardaigne son fameux bi-moteur Cessna noir et or, aux couleurs de son équipe de Formule 1 (JPS), chargé de pièces détachées de rechange pour les voitures.
Le tournage en Sardaigne débute aux alentours de Porto Cervo et de l’hôtel Cala di Volpe. La séquence prévoit que l’Esprit de 007 soit prise en chasse successivement par un side-car dont la nacelle est une bombe, une Ford Cortina et un hélicoptère Bell Jet Ranger. Les deux Lotus sont utilisées alternativement comme voiture de tournage et voiture caméra, avec un intrépide caméraman sanglé sur le capot arrière d’une Esprit avec sa grosse caméra Panavision, filmant l’autre Lotus. La voiture-caméra sera utilisée dans la scène où Q livre la voiture à Bond, tandis que l’autre Esprit apparait dans toutes les scènes de poursuite. Les deux voitures sont équipées de plaques de protection sous le radiateur afin de les protéger de la rudesse de certains tronçons de route et on a repeint leur spoiler avant en noir pour que d’éventuels impacts soient moins visibles à l’écran.
Cascadeur en perruque
Un problème survient cependant. Ernest Day n’est pas très impressionné par la prestation des cascadeurs qui ont du mal faire s’exprimer le potentiel de la Lotus. Le chef-essayeur de Lotus Cars, Roger Becker, qui est venu livrer les voitures, est toujours sur place. Il propose alors un tour en voiture au réalisateur de seconde-équipe afin de lui montrer de quoi est capable le bolide anglais lorsqu’il est bien mené. Après tout, il a participé à la conception de l’Esprit et notamment à la mise au point de sa tenue de route ! Ernest Day revient bien secoué de la ballade mais convaincu que Becker doit conduire la voiture pour le tournage. « On m’a trouvé une perruque et une veste de Roger Moore trop grande pour moi, se souvient Becker, et alors que je n’avais prévu que de passer quelques jours en Sardaigne, je suis finalement resté durant tout le tournage ».
À quelques encablures du Cala di Volpe, où réside une grande partie de l’équipe de production, une carrosserie d’Esprit est projetée dans la Méditerranée à l’aide d’un canon à air, du haut de la jetée de l’hôtel Pitrizza. Le 5 octobre, sur la plage de Capriccioli, toute proche également, Roger Moore et Barbara Bach prennent place dans une Esprit à demi-immergée pour la fameuse scène où Bond jette nonchalamment un petit poisson par la fenêtre de la Lotus aux pieds de baigneurs médusés (une idée de Moore). Sur la plage, Derek Meddings a conçu un ingénieux système pour tracter la Lotus hors de l’eau grâce à un câble dissimulé sous le sable et relié à une Range-Rover.
Les différentes étapes de la transformation de la Lotus en sous-marin vont être réalisées grâce aux sept carrosseries fournies par Lotus à la production. Notamment lorsque les roues s’escamotent dans la carrosserie pour laisser place aux ailerons ou encore lorsque la voiture lance un harpon, lâche une mine ou tire un missile contre l’hélicoptère qui la traque. Une seule coque va être convertie en sous-marin motorisé, d’après les dessins de Ken Adam et grâce aux efforts de Lotus et de Perry Oceanographics, une société basée en Floride, spécialisée dans la conception de sous-marins miniatures. Surnommé Wet Nellie (allusion à Little Nellie, le mini-hélicoptère d’On ne vit que deux fois), la Lotus est en réalité une simple coque remplie d’eau dirigée par un homme-grenouille, Don Griffin, ancien Navy Seal de l’armée américaine, et propulsée par quatre moteurs électriques. Un enchevêtrement de câbles et de leviers permet à Griffin de la diriger, un peu à l’aveugle, tandis qu’une équipe de plongeurs s’assure qu’elle ne termine pas sa course dans des coraux. Si la Lotus plonge dans l’eau en Sardaigne, elle va évoluer sous l’eau… aux Bahamas, dont les eaux turquoise sont idéales pour le tournage, supervisé par un vétéran des séquences aquatiques, Lamar Boren.
Pour certains plans plus complexes, lorsque la Lotus s’approche d’Atlantis, la base sous-marine du méchant, Meddings va concevoir quelques miniatures à l’ancienne et les truffer de cachets d’aspirine qui simuleront le panache de bulles d’air qu’une véritable voiture amphibie ne manquerait pas de produire. Chez Lotus, en Angleterre, on assure le service pendant le tournage en réceptionnant régulièrement des pièces de la Lotus, de retour des Bahamas accompagnées de notes explicatives telles que « ajustez mieux l’ouverture du périscope » ou « consolidez le capot arrière pour qu’il résiste mieux à la poussée du lance-roquette » qui ne manquent pas d’amuser les ingénieurs. En surface, une plate-forme équipée d’une grue est utilisée pour descendre et remonter la Lotus entre deux séquences.
Bien que le film ait offert une immense notoriété à la Lotus, Roger Moore n’en gardera pas un souvenir impérissable : « Les voitures ont été une source de problèmes constants, raconte-t-il dans son livre Bond on Bond. Durant le tournage, les moteurs surchauffaient et les batteries se déchargeaient très vite. La position de conduite, très basse, n’était pas idéale pour s’extraire de la voiture avec classe, si bien que nous avons été assez critiques pendant le séjour en Sardaigne. Lorsque nous avons su que le responsable de la publicité John Willis avait décidé d’en conduire une de Londres à Cannes pour le Festival en mai 1977, nous avons lancé des paris sur ses chances d’arriver à bon port. Il est parvenu à atteindre Lyon mais la voiture a fini le trajet sur un camion-plateau qui l’a déposée dans un garage. Elle a ensuite cahoté dans Cannes, on l’a placée devant le Carlton d’où elle a refusé de partir en raison d’une panne de batterie. Si la presse avait pu voir l’équipe de mécaniciens penchés sur elle durant la nuit, on aurait eu des gros titres formidables : ‘La voiture de James Bond est tombée en panne’. »
Lors de la sortie de L’espion qui m’aimait aux Etats-Unis, Wet Nellie fut envoyée en janvier 1977 au concessionnaire Lotus de la côte Est, afin d’être exposée au New York Auto Show puis à Cleveland, Chicago, Denver et Los Angeles. Lorsque la campagne promotionnelle du film prit fin, la voiture fut expédiée à Long Island, New York, dans un hangar de Holbrook. La location du hangar fut payée d’avance, pour une durée de dix ans. En 1989, le hangar et son contenu furent mis aux enchères lors d’une vente à l’aveugle, si bien que l’offre modeste d’un couple des environs suffit à remporter l’ensemble. Ce n’est qu’après avoir exploré son acquisition que le nouveau propriétaire découvrit la Lotus endormie depuis plus de dix ans sous une bâche. Une fois dûment expertisée et authentifiée, une restauration fut entreprise et bien que jalousement mise à l’abri, la voiture sera brièvement exposée au Musée Petersen de Los Angeles.
Le 9 septembre 2013, la Lotus Esprit sous-marine fut vendue aux enchères à Londres, par la maison RM Auctions et devint, pour la somme de 650 000 euros, la propriété d’Elon Musk, fondateur de Tesla qui déclarait en 2016 vouloir «faire en sorte que la voiture puisse fonctionner comme elle le fait dans le film».
La Lotus est aujourd’hui exposée dans le Studio de Design de Tesla, à Hawthorne, en Californie. Placée là, selon Musk « pour inspirer les ingénieurs » ! Un bel hommage aux équipes de Lotus, Eon et Perry Oceanographics.
Quant aux autres Esprit du film, une des carrosseries utilisées pour le tir de missile a été restaurée par la Ian Fleming Foundation, visible à l’expo Bond in Motion (Londres). Une des deux Esprit de la poursuite sur route réside au musée Dezer en Floride tandis que sa sœur appartient depuis 2008 à un collectionneur d’Atlanta.
Lotus will return
Fin 1980, Don MacLaughlan est sollicité par Eon pour la fourniture de deux Lotus Esprit Turbo pour le tournage du nouveau James Bond, Rien que pour vos yeux. Même si l’apparition de la voiture sera courte, Lotus Cars entend profiter de cette vitrine incomparable pour présenter la version 2.2 litres Turbo de sa légendaire Esprit. Une série limitée a déjà été lancée en grandes pompes, aux couleurs d’Essex, le pétrolier qui sponsorise les Lotus de Formule 1 mais, pour se faire connaître du grand public, rien ne vaut d’avoir 007 au volant. En septembre, MacLaughlan vient livrer lui-même les deux Esprit Turbo blanches, intérieur cuir marron, sur le tournage à Corfou, en Grèce. Les deux véhicules sont issus d’une pré-série et sont encore équipés de la chaine stéréo Panasonic montée au plafond, une des options exclusives de la série limitée Essex. Attentif à tout, MacLaughlan n’a pas oublié de faire peindre en blanc le nom « Lotus » embossé dans les pare-chocs arrière pour qu’il soit mieux visible à l’écran, ni de faire ressortir le « Good-Year » présent sur les flancs des pneus, la marque américaine équipant à l’époque le Team Lotus de Formule 1 !
Une simple carrosserie d’Esprit dépouillée de son moteur et de son habitacle arrive aussi d’Angleterre. Cette dernière va être utilisée pour la scène où l’un des méchants tente de briser une vitre de la Lotus sans savoir qu’elle est équipée d’un système antivol pour le moins radical qui provoque l’explosion pure et simple du véhicule !
Après la Grèce, les deux Esprit Turbo vont rentrer en Angleterre et subir quelques modifications à l’usine Lotus avant de repartir, début 1981, sur le tournage du film à Cortina d’Ampezzo, dans les Alpes italiennes, où se poursuivent les aventures de 007. Repeintes en bronze avec intérieur en cuir beige, et pourvues de porte-skis sur le toit, les deux voitures sont une fois de plus convoyées par Don MacLaughlan, accompagné cette fois de Dave Minter, un ingénieur de l’usine. Embarquées à Calais, débarquées à Nice, elles arrivent à Cortina le 5 janvier pour retrouver Roger Moore et Carole Bouquet qui tournent dans une station exceptionnellement peu enneigée pour la saison. Alors qu’une scène avait bien été écrite dans laquelle un agent secret italien provoquait une série de catastrophes en manipulant par erreur les gadgets de la Lotus, rien de tout cela ne finira à l’écran et l’Esprit Turbo n’apparait plus que dans deux courtes scènes, notamment l’arrivée de Bond au prestigieux hôtel Miramonti. MacLaughlan, en bon attaché de presse de la marque, profitera du cadre pour faire poser Roger Moore devant des photographes, habillé d’un blouson Lotus, assis sur le capot d’une des Esprit. Aujourd’hui, les deux Lotus existent toujours, l’une au Musée Dezer en Floride et la seconde, chez un collectionneur du Moyen-Orient.