BATMOBILE FOREVER
Dans la famille des Batmobiles, la version 1989 du film Batman de Tim Burton, la plus emblématique et l’une des plus spectaculaires, a marqué les esprits de millions de spectateurs. Retour sur la conception d’un monument du septième art.
Du cabriolet rouge à la Batmobile
Si Batman fit son apparition sous le crayon de Bob Kane en mai 1939 dans le Detective Comics #27, la Batmobile ne fit pas immédiatement partie de sa panoplie de justicier masqué. Après avoir fait régner l’ordre dans les rues de Gotham City durant deux ans, au volant d’un cabriolet rouge aux lignes inspirées de la Cord 1936, le justicier Bruce Wayne / Batman ne recevra sa première véritable Batmobile qu’en février 1941 dans le Detective Comics #48 sous la forme d’une sinistre berline noire affublé d’un visage masqué de l’homme chauve-souris en guise de calandre. Un design qui va constamment évoluer au fil des aventures sur papier, mais aussi dans les adaptations télévisées où les véhicules du héros-masqué vont évoluer en fonction des budgets de production.
Ainsi, comme dans la BD, c’est au volant d’un banal cabriolet Cadillac 75 de 1939 que le premier Batman à l’écran, Lewis Wilson, va se déplacer dans la série de quinze épisodes diffusés en 1943. À son bord, pas la moindre bat-option, et la même voiture étant utilisée en mode privé par Bruce Wayne et en mode Batmobile par son alter ego justicier. Il fut décidé, pour différencier les deux, que la capote serait baissée lorsque Wayne la conduirait et fermée lorsque Batman serait au volant… En 1949, un cabriolet Ford Mercury lui succède, tout aussi anodin, avant qu’une véritable Batmobile digne de ce nom ne soit conçue par le designer George Barris sur la base d’un concept-car Lincoln Futura de 1955. Cette nouvelle Batmobile sera la star de la délirante et cartoonesque série télévisée lancée en 1966 avec Adam West dans le rôle de Batman. Bardée de gadgets saugrenus, le kitchissime véhicule fera la gloire de Corgi dont la réplique miniature, référence 267, se vendra par millions.
Batmobile à la Burton
En 1989, dans le film Batman de Tim Burton, le justicier masqué fait son retour sur le grand écran avec Michael Keaton dans le rôle-titre. Pour cette adaptation plus sombre et dramatique des aventures du héros, Burton va confier la création de la nouvelle Batmobile au designer Anton Furst et son équipe, dont l’illustrateur Julian Caldow, responsable des dessins définitifs. « J’ai commencé à imaginer des voitures assez conventionnelles, expliqua Caldow, inspirées de la vieille série télé avec Adam West, des voitures d’un style très américain avec de longues ailes arrière, ce genre de choses… Et plus on travaillait dessus, plus les idées d’Anton devenaient ambitieuses. En fin de compte, il était moins question d’imaginer une voiture qu’un symbole de Batman, et dès lors, le projet a pris une toute autre ampleur. » Les premières esquisses dévoilées, dans un style art déco revendiqué, Burton émet des doutes. « Nous n’étions pas sûrs que le résultat serait convaincant, se souvient-il. Ce n’est qu’en visionnant les premiers rushes du film qu’on a compris que le but était atteint. »
Aux Studios de Pinewood, au nord de Londres, le superviseur des effets spéciaux, John Evans (Superman, Moonraker, Gladiator…) et son équipe de techniciens, vont concevoir la Batmobile en douze semaines en prenant pour base un châssis de Chevrolet Impala 1967 et pour moteur, un V8 Chevy 327. « Deux formidables techniciens, Keith Short et Eddie Butler, ont d’abord construit une petite maquette en argile, explique Caldow. Puis, la version à l’échelle 1. Pendant des semaines, la voiture a peu à peu pris forme dans un grand hangar de Pinewood avant d’être confiée à un spécialiste de la fibre de verre ». Des éléments de turbine Rolls-Royce vont être incorporés à l’ensemble ainsi que des ailettes de turbine prélevées sur un jet British Harrier pour équiper le museau de la Batmobile. Le résultat, un monstre de 6 mètres de long, 2,5 mètres de large et de 1,5 tonne, au design intemporel. « Je ne voulais pas d’un véhicule futuriste ou d’une parodie des années 50, expliquait Furst en 1989. J’ai opté pour la forme de design la plus brutale, avec le désir qu’elle inspire également le sexe et la violence ». En revanche, question performances, pas de quoi pavoiser, l’énorme voiture n’atteignant que péniblement les 72 km/h… Les effets spéciaux se chargeront de la rendre plus véloce à l’écran.
Une Batmobile presque parfaite
Seul défaut de conception de la Batmobile, son cockpit est trop exigu pour accueillir Michael Keaton lorsque ce dernier porte son fameux masque à oreilles pointues. Caldow panique un peu. « Je me rappelle avoir pensé à ce moment-là que pour mes débuts dans le design artistique, grâce à moi, Batman ne tiendrait même pas dans sa propre Batmobile ! ». Envisage-t-on de rabaisser le siège conducteur pour pallier cette erreur d’appréciation ? Non, le costume de Batman sera simplement modifié et les oreilles raccourcies !
Produite en deux exemplaires, la Batmobile propose une interminable liste d’options à rendre jalouse l’Aston Martin DB5 de 007, même si, comme la vieille anglaise, elle peut déverser de l’huile et des mines et déployer des mitraillettes à l’avant. Autres équipements : un mode cocon qui la recouvre d’une carapace blindée, un système de vérin central qui la soulève et lui permet d’effectuer des demi-tours à 180°, des lance-grappins, etc., un attirail exclusivement utilisé dans les décors de Gotham City conçus par Anton Furst, gigantesque ensemble de rues construit aux Studios de Pinewood qui lui vaudra un Oscar.
La Batmobile millésime 89 fera son retour dans le film suivant, Batman le défi, réalisé par Tim Burton en 1992. Par la suite, son design va continuer d’évoluer dans les productions suivantes jusqu’à muer en une sorte de tank bondissant dans la trilogie de Christopher Nolan (« la rencontre entre une Countach et un Hummer » dira d’elle son designer Nathan Crowley). Mais le charme est rompu. Trop fonctionnels, moins poétiques, aucun de ces chars d’assaut ne marquera les esprits comme le fit celle que l’on surnomma «Keatonmobile » sur le tournage. La preuve ? Elle demeure à ce jour la Batmobile la plus copiée de tous les temps.
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