Par Roland Borghini

1973, il est urgent de remplacer la Type E. Vieillissante, ravagée par les restylings imposés par les normes de sécurité américaines, elle n’est plus que l’ombre du dessin original génial de 1961. En coupé, son pavillon est rehaussé comme celui de la 2+2. La marque utilise même cette plateforme plus longue de 20 cm pour son cabriolet S2 et S3. Ses feux arrière – si minimalistes et élégants – sont passés sous les parechocs et ses phares, ne sont plus carénés. Il reste à la E son capot mythique mais à la bouche affublée d’une calandre cannelée genre coupe frite.  Les moustaches de parechoc ont dû être renforcées par d’énormes butoirs en caoutchouc, presque aussi moches que ceux qui alourdissent la Triumph TR6. C’est clair, le plus beau coupé de l’histoire de l’automobile est arrivé au bout de son évolution. A Coventry, on en est bien conscient. Mais le marketing est désormais roi à Browns lane. Faisant de l’instinct un lointain souvenir. Et c’est le marché américain, plus important que jamais, qui va dicter sa loi. La firme confie d’abord le dessin de l’XJS évidemment à Malcolm Sayer, le génie qui dessina la E. 

 Mais le cahier des charges est pesant. Il impose de travailler sur la plateforme de la berline XJ. Ensuite, il doit respecter, voire améliorer, les normes de sécurité américaines en cours. Ralph Nader et ses comités de défense des consommateurs font la loi. Pour finir, l’auto doit être une vraie quatre places. Et non plus une voiture de « célibataire-play boy-égoïste » comme le fut la type E. Bye-bye les sixties. C’est une gageure de dessiner un coupé moderne capable d’encaisser des chocs à 7 km – avec des vérins hydrauliques dans les parechocs – sans le faire ressembler à un tank. Pour tout arranger, Malcolm meurt en 1970 et c’est donc Doug Thorpe, le patron du design Jaguar, qui va terminer le travail. L’XJS, qui porte encore le nom de code XJ27, a bien une dénomination d’arme secrète mais n’a rien d’un missile. Avec ses drôles de phares ovales, sa calandre écrasée, ses énormes parechocs en plastique et sa poupe nervurée on est loin de la révolution esthétique que provoqua en son temps la Type E. Pour couronner le tout, la crise du pétrole frappe l’industrie de plein fouet et condamne d’entrée l’unique motorisation proposée sur ce coupé. Le V12 5.3l, évolution de celui de la Type E, a beau être passé par la case injection, il consomme encore comme une locomotive Pacific et peut dévorer jusqu’à 35 l aux 100 dans les embouteillages !  Il est associé à un boite automatique Borg Warner poussive à 3 vitesses, mais aussi à une boite mécanique 4 vitesses que certains spécialistes qualifieront d’intéressante. « Il n’y a eu que quelques centaines de boites mécaniques sur l’XJS first génération, explique Charles Lenfant grand spécialiste jaguar. Et je puis vous dire que, malgré le couple de camion du V12 et la résistance mesurée des embrayages, elle marchait très bien. Elle était même, selon moi, la boite idéale, même s’il elle tirait très long puisque n’avait pas de 5 eme. Elle sera pourtant vite abandonnée car fort peu demandée. 

Il ne faut pas se leurrer, l’XJS n’a qu’un lointain cousinage avec sa sœur la E.  Même si elle est capable de voguer à 229 km/h et atteindre le 0 à 100 km/h en 7,8 secondes. Elle reste cependant une GT qui supporte mal d’être conduite à la cravache le couteau entre les dents. Celle qu’on va appeler très vite le « Big cat » pèse 1700 kg, 500 kg de plus que sa devancière. Son train avant a beau être plutôt réussi car issu du XJ, elle reprend encore et toujours le système de suspension arrière avec freins embarqués de la type E étudié avant 1960 rappelons-le! L’XJS n’a pas un caractère incisif. Elle freine bien, mais en plongeant et jamais trop longtemps. Et ses phares Cibié, que d’aucuns comparèrent aux lorgnons du célèbre avocat maître Verges, éclairent vraiment moins bien que ceux de la DS par exemple. A l’intérieur on a affublé le tableau de bord de nouveaux manomètres qui ressemblent plus à des niveaux à bulle de maçon qu’à des jauges de voiture de sport. Il n’y a pas non plus de bois au tableau, mais à son bord, les quatre passagers peuvent ressentir une impression de sécurité indéniable. Normal, cette auto a des renforts partout. Elle est par ailleurs hyper insonorisée et il faut regarder le compte tour pour être sûr qu’on a bien démarré. Si on n’a pas à faire de gros freinages on peut cruiser à 200 km/h en terminant son Partagas. « Mais il y a cet horrible ordinateur de bord qui s’affiche en led vert aussi, ajoute Charles Lenfant. Il a la désagréable habitude de donner les consommations immédiates qui peuvent monter à 280 litres au starter » ! Malgré tous ses défauts, l’XJS séduit. Le marché américain répond bien et il ne faut pas attendre bien longtemps pour que Jaguar pense à améliorer son haut de gamme. D’abord c’est au moteur qu’on s’attelle. On va chercher un ingénieur suisse, Michael May, pour retravailler la culasse. Est-ce l’air pur des montagnes ou la réputation légendaire de sérénité helvétique, quoiqu’il en soit il parvient à réduire de 30 % la consommation en inventant la culasse fireball « high efficency ». L’XJS reçoit le logo HE et voit passer sa puissance à 295 CV.

@Droits réservés Image: jaguar heritage via Hagerty, from https://driventowrite.com/2014/05/08/1975-jaguar-xjs-design-history-malcolm-sayer-bob-knight/ 

 

 La boite auto est désormais d’origine Géneral Motors GM Turbo-Hydramatic 400 et certaines jantes de style BBS. Une targa, fabriquée par Tickford, vient agrémenter les carrosseries. Elle est disponible avec le moteur six cylindres boîte 5 vitesses qui anime depuis peu l’XJ40. Plus une découvrable d’ailleurs qu’un cabriolet. Modèle peu diffusé (aujourd’hui collector), elle sera suivie de la première tentative américaine sans toit. « Le premier cabriolet ne sera pas anglais, il sera élaboré à Cincinnati, dans l’Ohio par un fameux carrossier du nom de Hess & Eisenhardt. On reconnaît cette série a l’absence de déflecteur dans le vitrage de porte. A l’ajout de renforts en acier derrière le siège conducteur aussi et des poids placés derrière les phares pour éliminer la « résonance harmonique » causée par les modifications. Les cabriolets H&E XJS sont reconnaissables à leur toit rabattable inférieur, ainsi qu’à deux petits badges situés juste derrière les passages de roues avant. Cette création vient répondre à l’épidémie de transformations qui sévit en Floride où certains carrossiers peu scrupuleux découpent carrément les coupés sans en renforcer les châssis, les transformant en danger roulant. L’usine jaguar, impressionnée par le travail de Hess & Eisenhardt, finira par produire elle-même l’XJS cab un an plus tard. Coté moteur le V12 est moins à la mode. L’exiguïté du compartiment moteur provoque des surchauffes et la boite GM, habituée aux largesses des châssis de Cadillac, ne supporte pas d’être confinée et perd en fiabilité. L’usine offre désormais un six en ligne de série. 

On reconnaît sa livrée grâce au bossage du capot. «On trouve même des XJS coupé 3.6l boite 5 Getrag continue Charles Lenfant. Il y en aura moins de 1000. Mais on sera toujours loin de l’efficacité de la Type E. L’auto « bateaude » à la moindre attaque et ce coupé reste donc un « calm cruiser » grand tourisme. On est presque plus adapté avec la nouvelle boite auto ZF à 4 rapports. Malgré un ultime restyling qui fracassera la personnalité de l’arrière en agrandissant la lunette de poupe, le passage du six cylindres à 4 litres, celui du V12 à 6 litres, l’XJS n’aura eu qu’un mérite, enterrer la Type E sans jamais être à la hauteur de la remplacer. Elle n’aura donc pas été La Type F dont rêvait Jaguar. Elle aura tout de même vécue 21 ans de 1975 à 1996‎ (113 413 exemplaires). Il faudra attendre l’XK8 et son V8 Ford supercharged pour frôler les sensations que procurât la conduite de la Type E. De l’avis des essayeurs les plus chevronnés, seule la récente Type-F est enfin la hauteur de sa sœur la E…60 ans plus tard.

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