612 Scaglietti, la dernière des grandes Ferrari
Par Roland Borghini
Un 2+2 encore plus habitable
En matière d’esthétique automobile – comme dans de nombreux autres domaines faisant appel au bon goût – il est en général assez difficile de faire l’unanimité. La 456 GT ayant pourtant presque réussi là ou tant d’autres avaient échoué, on décide donc à Modène de se baser sur son style pour travailler sa succession en « améliorant » encore ses cotes afin de rendre la nouvelle 2+2 encore plus habitable. La 612 Scaglietti – du nom du célèbre carrossier qui fut un des premier à régner sur le façonnage de l’aluminium – est plus longue de 14 centimètres que sa devancière. C’est beaucoup, mais ça ne déséquilibre pourtant pas l’ensemble, ni son pavillon. Elle est aussi évidemment plus large. Mais c’est son empâtement qui ne fait pas l’unanimité. Enfin l’unanimité…Un concept qui est rarement le fait des vrais spécialistes. Encore moins souvent des puristes qui ont la chance de posséder – ou même simplement de conduire – ce genre d’engin de rêve…Or donc, la distance entre l’axe des roues avant et des roues arrière frôle en effet les 3 m. C’est grave docteur ? Ben, pas tant que ça. Mais c’est quasiment la même longueur que certaines grosses berlines allemandes de l’époque! La 612 est donc immédiatement taxée de « grosse » Ferrari. C’est pourtant vrai que ses formes sont généreuses. Mais elle est particulièrement bien proportionnée. Normal, Pininfarina, le designer attitré de la marque, a fait appel à un as pour réaliser son nouveau vaisseau. C’est Ken Okuyama qui va en réaliser le design.
Comme son nom peut l’indiquer, Ken est plus japonais qu’italien. Mais il a déjà derrière lui quelques créations automobiles essentielles à son actif. En 1989 il a déjà dessiné la Honda NSX qualifiée de Ferrari nippone puis a développé la Camaro de 1993 et la Corvette C5 de 1997. En 1996 il dessine carrément le Boxter Porsche ! Fort de cet incroyable palmarès, il est engagé chez Pininfarina et dessine les Ferrari 456 GT, la Rossa Concept en 2000, et même l’incroyable Enzo.
Inspirée d’un cadeau fait à Ingrid Bergman
« C’est de lui que va venir l’idée de creuser les flancs de la 612 Scaglietti pour en alléger la silhouette, explique Christophe Decronembourg de chez Eliandre Automobile. On dit même qu’il se serait inspiré du dessin de la 375 MM que Roberto Rossellini fit dessiner à Ferrari pour sa compagne Ingrid Bergman en 1954 ». On savait faire des cadeaux aux belles dames à l’époque…La 375 MM n’est évidemment pas un 2+2, mais la berlinette châssis n°0456/AM qui sera exposée au salon de Paris de 1954, introduit des choix esthétiques qui vont faire école. Les flancs creusés, le pare-brise galbé, les petits feux au sommet des ailes, les deux dérives arrière dans le prolongement de la lunette arrière et délimitant le coffre. Autant de spécificités qui vont révolutionner le genre évoquant même la fameuse Mercedes 300 SLR. C’est de cette grâce dont va hériter la 612 Scaglietti. Mue par le Tipo F133, un V12 encore plus puissant que celui de la 456 développant cette fois 540 ch, elle a beau peser 1.8 t – ce qui fait d’elle une des plus lourde de l’histoire de la firme – la 612, grâce à son implantation Transaxle (lien papier 456) et une répartition des masses presque idéale (moteur en position centrale avant, boite de vitesse sur l’essieu arrière, énorme réservoir et batterie à l’arrière…) est un modèle d’équilibre et d’habitabilité. Il faut l’avoir conduite pour accepter l’évidence. La 612 frôle les 5 mètres de long, elle n’est donc pas véloce comme une F430 mais c’est une GT à l’incroyable tenue de route, disposant d’un anti patinage et d’une répartition des masses idéale. « C’est même une des dernières Ferrari moderne disponible en boite mécanique explique Christophe, puisque la firme italienne la proposa encore en boite 6 vitesses ».
En occasion, on en trouve encore aujourd’hui autour des 60.000 € en boite F1 à palets. Les boites mécaniques sont rares et plus chères. On pense même qu’il n’y en a eu que 300 de construites, soit 10% de la production totale. Vous pouvez rouler en 612 Scaglietti pour le prix d’une Renault Koléos « full option ». Pensez-y au moment de rentrer sur le périphérique dans votre deplaçoire en vous fondant dans la masse. Et pour paraphraser Michel Audiard « le prix s’oublie, la qualité reste, c’est pas l’auto de tout le monde ». RB